Saint-Simon, Grand d’Espagne (1723) : un diplôme retrouvé en 2001

Le jeudi 11 octobre 2001, la Bibliothèque nationale de France et la Société des Amis de Saint-Simon signalaient à la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères la mise en vente publique, le dimanche suivant, à la salle des ventes de Laval, d’une partie des archives de la famille Saint-Simon parmi lesquelles se trouvaient des lettres patentes de grandesse espagnole du duc de Saint-Simon [1].

  • Portrait du duc de Saint-Simon (buste)

    Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon

    Portrait lithographié, vers 1800

    France, Archives du ministère des Affaires étrangères, Collection iconographique, série B (estampes), Ba 47, A051117

Pourquoi aux Archives diplomatiques ?

On sait que les papiers du cabinet du duc, quelques années après la mort de celui-ci et alors que sa succession, grevée de dettes, n'était pas encore liquidée, que menaçait la vente aux enchères, furent saisis sur ordre du Roi, à l'instigation de Choiseul, et réunis au fonds des Affaires étrangères. Beaucoup d'encre a coulé sur cette affaire, le prétexte de la saisie ayant été que la plupart des papiers concernaient le service du roi et de l'État. On doit y voir, en réalité, le résultat combiné de l'action du commis aux archives des Affaires étrangères, Nicolas-Louis Le Dran, relation de longue date de Saint-Simon, et de la curiosité de Choiseul et de ses amis (certains passages des Mémoires ont fait l'objet de lectures semi-publiques). On peut également présumer que Le Dran n'a fait que traduire la crainte, exprimée à plusieurs reprises par Saint-Simon lui-même, de voir des papiers intéressant l'État aboutir entre les mains de particuliers.


Les lettres patentes étaient mentionnées dans l'inventaire après décès. Par la suite, plusieurs documents du fonds dont celui-ci, avaient été remis aux héritiers du duc. D'autres, dont les manuscrits des Mémoires, rendus en 1828 au général-duc de Saint-Simon sont à présent conservés à la Bibliothèque nationale de France. Mais l'ensemble de la documentation réunie par Louis de Rouvroy duc de Saint-Simon au cours de sa vie (1675-1755), les manuscrits de ses œuvres politiques, les annotations au Journal de Dangeau, premier état des Mémoires, se trouvent toujours aux Affaires étrangères, notamment dans le fonds Mémoires et Documents, France, aux côtés des papiers Richelieu et Mazarin.


Une autre raison militait en faveur d'une acquisition par les Affaires étrangères : la dignité de Grand d'Espagne a, en effet, été conférée à Saint-Simon, avec survivance pour son fils le duc de Ruffec, à la suite de l'ambassade extraordinaire qu'il avait faite en Espagne en 1721-1722 pour le double mariage de Louis XV avec l'infante d'Espagne et de la fille du Régent, la princesse Élisabeth d'Orléans, avec le prince des Asturies. La correspondance de cette ambassade et le dossier de préparation des voyages de Saint-Simon et des deux princesses, fidèlement conservés par les bureaux des Affaires étrangères, constituent les plusieurs volumes de la Correspondance politique, Espagne ; on y trouve, mêlés, les lettres de l'ambassadeur permanent, Maulévrier, celles du cardinal Dubois, du Régent, des Français d'Espagne (Louville, Sartine, etc.), des foules de mémoires et de listes (domestiques, étapes, parures, etc.) et, surtout, de nombreuses lettres originales, certaines autographes, de Saint-Simon. Tous ces documents se répondent, donnant en quelques centaines de feuillets une image extraordinairement vivante du « petit duc » : on pense, par exemple, aux inquiétudes du marquis de Louville, qui dans son « Mémoire introductif pour le duc de Saint-Simon », le met en garde contre la tentation d'exercer son esprit caustique contre les institutions religieuses en Espagne. Ou aussi, aux listes de questions fort précises sur la conduite de la mission que le duc soumettait, ou faisait soumettre par sa femme, au Régent.

 

Real despacho de la grandeza de primera classe que el rey Phelipe V ha concedido al duque de San Simon. France, Archives du ministère des Affaires étrangères, Acquisitions extraordinaires, 301QO/156

Description synoptique de l'exemplaire original du Diplôme de la Grandesse d'Espagne de première classe, en date du 18 juin 1723

Cette pièce essentielle du chartrier ducal figurait à l'inventaire après décès du duc de Saint-Simon, dressé en 1755 par Me Delaleu [2] sous le libellé suivant : « Pièce de la cote 53 : Registre couvert de velours à plaque d'argent, contenant en langue espagnol un décret signé du Roy d'Espagne, le 18 juin 1723, au sujet de la Grandesse d'Espagne accordée à M. le Duc de Saint-Simon et à Monsieur le marquis de Ruffec, avec faculté à M. le duc de Saint-Simon, sa vie durent, de placer cette grandesse par son Testament ou autres actes, sur tels fiefs en France qu'il voudra choisir (ce sera celui de La Rochelle, ou Comté de Rasse), avec substitution en faveur du Marquis de Ruffec et de ses autres fils ou filles, ou des frères et des sœurs, et descendants d'iceux tel qu'il voudra choisir, ou à leurs défauts à telles personnes ses parentes ou étrangères qu'il voudra choisir ».


On doit à Lancelot, érudit qui collaborait aux travaux du duc, la description qu'il eut l'occasion de faire d'après l'original consulté dans le cabinet du mémorialiste, et qui figure dans l'un des portefeuilles de cette officine, à la Bibliothèque nationale de France [3] : « Ce volume est in-folio, couvert de velours et sur vélin. Il y a entre chaque feuille de vélin une de taffetas apparemment pour la conservation de l'écriture de la miniature. Le titre de ces lettres commence par Despacho. Il est dans un cartouche en miniature fort ouvré et d'assez bon goût. Sur la page suivante sont les armes de M. le Duc de St. Simon, couronne ducale, manteau ducal [4]. Sur la 3e page, est la figure de St. Louis prosterné aux pieds d'un autel, sur lequel il y a un crucifix, la couronne d'épines et des clous, à ses pieds son sceptre et sa couronne ; des anges sont soutenus sur des nuées et dans l'enfoncement paraissent des soldats armés à l'antique qui servent de gardes ; le tout en miniature. Sur la 4e page, sont trois médaillons enrichis d'ornements ; les deux premiers à côté l'un de l'autre représentent le Roi d'Espagne et la Reine, et au-dessous le Prince des Asturies ; au-dessus sont deux globes accolés, surmontés d'une couronne fermée (jolie miniature). Dans le haut du cartouche de la 5e page, sont les armes d'Espagne et commencent les Lettres par ces mots Don Phelipe, et Don est en plus grandes lettres capitales que le reste ; Phelipe aussi en lettres capitales un peu moins grandes que les précédentes. Toutes les qualités sont en lettres rondes jusqu'à ces mots Vizcaya y de Molina. Por quanto est en lettres capitales italiques. Tout le reste est en italiques courantes. Chaque page est dans un cartouche chargé d'ornements, fleurons, festons, etc. Au bas des Lettres pend un sceau attaché avec une chaîne d'argent enfermé dans une boîte ronde aussi d'argent. Le sceau est en cire rouge écartelé au 1 et 4 de Castille, au 2 et 3 de Léon. Autour du sceau : Philippus V. D.G. Castillae legionis - Navarrae, Granatae/Toleti, Galiciae, Hispalis, Cordubae, Dureciae - Rex/. »


La chaîne, la boîte et le sceau ont disparu. Les deux plats sont ornés au centre et aux quatre coins de plaques d'argent portant les armoiries de la famille de Saint-Simon et le double S entrelacé. La signature Yo el Rey figure au recto du douzième et dernier folio et deux signatures des officiels espagnols à son verso : Pedro Median Sorriba et Ana Lopez Salzes, les apostilles des notaires chargés des inventaires de 1755 et 1774 : « Première inventoriée par Baron notaire, pour la cote cinquante trois », effectivement tabellion associé à Me Delaleu et « Pièce unique inventoriée, par Me Millon d'Ailly sous la cotte quatre vingt treize ». Enfin sont reconnaissables, en bas, les apostilles espagnoles des clercs préposés à l'inventaire fait à Madrid en 1837, en la résidence que Claude-Anne avait partagée avec sa fille, la comtesse de Rasse, dernière détentrice du diplôme familial de la grandesse.

Entrée prestigieuse

Adjugé pour la somme de 175 000 francs (soit 26 678 euros), les Archives diplomatiques ont acquis ce document en exerçant leur droit de préemption. Le diplôme n'est pas ensuite intégré dans les papiers du cabinet du duc de Saint-Simon mais classé dans la collection des Acquisitions extraordinaires.

 

Notes

  • 1

    La vente est annoncée dans La Gazette de Drouot, n° 34, du 28 septembre 2001 puis rappelée dans la livraison suivante, n° 35, du 5 octobre, avec l'estimation « du brevet de grand », entre 100 000 et 200 000 F, soit 15 245 à 30 490 euros. Les quotidiens régionaux relaient également cette vente : Ouest-France les 13 et 14 octobre, titrant « Le diplôme du duc de Saint-Simon» et le Courrier de la Mayenne, le 11 octobre.

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  • 2

    Archives nationales, Minutier central, étude CVIII-511 (Delaleu), du 13 mars 1755 au 19 février 1756

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  • 3

    Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, NAF 9711, fol. 65 r° et 81

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  • 4

    Écartelées, au I et IV de sable à la croix d'argent chargée de cinq coquilles de gueules ; aux II et III échiqueté d'or et d'azur au chef d'azur chargé de trois fleurs de lys d'or.

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