Jean-Guillaume Hyde de Neuville (1776-1857) : un diplomate hors norme
Un diplomate français au secours du roi du Portugal
23 janvier 1825. L’ambassadeur de France au Portugal, Jean-Guillaume Hyde de Neuville, quitte Lisbonne et s’embarque pour la France pour participer à la session de l’Assemblée nationale, en tant que député de sa circonscription de la Nièvre : le diplomate est aussi un homme politique, royaliste ultra mâtiné de libéral, ami proche de Chateaubriand.
Hyde de Neuville ne retournera jamais à Lisbonne : à l’issue de la session parlementaire, le 29 juin, l’ambassade de Lisbonne est rétrogradée en légation. Un ministre plénipotentiaire est nommé à la tête de la légation en remplacement d’Hyde de Neuville, qui reste ambassadeur avec un traitement de disponibilité.
Il s’agit du renvoi déguisé d’un homme qui embarrasse, à la suite d’un épisode rocambolesque où l’ambassadeur de France prend l’initiative de sauver le roi du Portugal Jean VI, menacé par une révolution absolutiste en avril 1824. Hyde de Neuville, à la tête du corps diplomatique rassemblé, va chercher Jean VI dans son palais pour le mettre sous protection. Non seulement il sauve le roi – nul ne saurait le lui reprocher – mais il établit une forte influence française à la Cour de Lisbonne, alors que le Portugal de l’époque est inféodé à la Grande-Bretagne : de quoi mettre Londres de fort mauvaise humeur, et lorsque Châteaubriand quitte le ministère des Affaires étrangères en 1824, son successeur n’approuve pas la politique anti-anglaise et les initiatives de son ambassadeur à Lisbonne.
Mais qui est donc Hyde de Neuville ?
Hyde de Neuville, ministre de la Marine. Lithographie de Ducarme, d'après Legrand, publié par Baisot. XIXe siècle. France, Archives du ministère des Affaires étrangères, Collection iconographique, Série C (estampes), A007559
Un diplomate « Ultra » ?
Jean-Guillaume Hyde de Neuville n’est pas un diplomate de carrière. Il a été nommé en janvier 1816 comme ministre de France aux États-Unis, l’un des derniers d’une vaste vague de nomination de nouveaux ambassadeurs depuis 1815 pour renouveler le corps diplomatique français, et remplacer par des hommes fidèles à la Royauté des individus jugés trop révolutionnaires ou trop bonapartistes. Il est considéré comme un Ultra. Son passé est éloquent : dès les débuts de la Révolution, il s’engage aux côtés des partisans de la Royauté, échoue à faire évader la Reine du Temple, monte une agence d’espionnage à Paris pour le comte d’Artois réfugié en Angleterre, complote contre Napoléon. Il est probablement le commanditaire de l’attentat de la rue Nicaise, lorsqu’une « machine infernale » éclate sur le chemin de Bonaparte allant à l’Opéra en décembre 1800, tuant un cheval et la petite fille qui le conduisait, mais épargnant le Premier Consul.
Traqué par la police, Hyde de Neuville obtient en 1807 de s’exiler aux États-Unis. Il y restera sept ans, revenant en France dès les premières nouvelles du retour du Roi en 1814. Sa loyauté, sa fidélité au Roi ne font aucun doute et ne seront jamais démenties. Pourtant, ces sept années passées au contact d’une République l’ont changé. Certes, il siège aux côtés des Ultras dans la « Chambre introuvable » de 1815. Mais en réalité, il est acquis à certains principes républicains. Nul doute que la France doive être gouvernée par un Roi : mais ce Roi n’est plus un monarque absolu, il a accordé une Charte à ses sujets. Sur son papier à lettres, Hyde a inscrit sa devise : « Tout pour Dieu, la Charte, et le Roi légitime ».
Un royaliste aux États-Unis
Hyde de Neuville est envoyé aux États-Unis parce qu’il connaît bien ce pays qu’il a habité durant sept années et où il s’est parfaitement assimilé à la société américaine. Il y est envoyé aussi parce qu’on lui fait confiance pour surveiller les émigrés bonapartistes qui ont afflué Outre-Atlantique. Quelles sont donc les activités de Joseph, frère de l’ex-Empereur ? Dans quels complots certains cherchent-ils à l’entraîner ? Que font donc au milieu du Texas, ces anciens militaires bonapartistes qui prétendent cultiver la vigne et l’olivier mais ont plutôt l’air de s’entraîner au combat, peut-être pour aller rejoindre les insurgés en Amérique du Sud ? Où partent donc ces goélettes qui appareillent nuitamment des ports des États-Unis, peut-être vont-elles à Sainte-Hélène, pour délivrer l’Empereur ?
On peut compter sur Hyde de Neuville pour surveiller tous ces agissements. Mais ce n’est pas là sa seule utilité. Ce curieux mélange de légitimisme et d’idées libérales lui permet d’être respecté par le gouvernement américain (qui se méfie des Bourbons) et d’avoir la confiance du ministre d’Espagne aux États-Unis, don Luis de Onis. Il est en bonne position pour faciliter les négociations entre les États-Unis et l’Espagne et obtenir un règlement sur la question des Florides, en 1819. Les États-Unis obtiennent la Floride orientale ; les limites occidentales de la Louisiane, restées floues depuis la vente de la Louisiane par Bonaparte, sont enfin précisées. En 1822, il négocie un traité de commerce entre la France et les États-Unis dans des conditions satisfaisantes, alors que la question des indemnités empoisonnait les relations avec la France depuis le retour des Bourbons.
L’homme politique
La disgrâce de 1825 marque la fin de la carrière diplomatique de Hyde de Neuville, qui se consacre désormais à sa carrière politique. Député de la Nièvre sans discontinuer de 1815 à 1830, il se fait l’ardent défenseur à la fois de la Légitimité et des libertés nationales, ce qui fait que, siégeant à côté des Ultras, il se retrouve souvent à parler avec la Gauche. Ces contradictions apparentes amusent ses détracteurs : « M. Hyde de Neuville nous a paru être un homme de bonne foi ; mais il est impossible de deviner comment est construite sa cervelle. Chaleureux défenseur de l’arbitraire, chaleureux défenseur de la liberté, il y a dans ses discours, où ces deux enthousiasmes se trouvent réunis, une espèce de solution de continuité dans les idées qui produit un effet comique. M. Hyde de Neuville est tellement plein de certaines idées, ou plutôt de certains mots, que l’on est sûr, pour quelque sujet qu’il aborde à la tribune, de les lui entendre prononcer. Tels sont ces mots : excès révolutionnaires, monarchie souffrante, légitimité en péril. [...] Il faut diviser les discours de M. Hyde de Neuville en deux parties. La première a rapport au sujet qui l’occupe ; elle est quelquefois forte de logique et de raison, partant constitutionnelle et même libérale. La seconde est un hors-d’œuvre qu’il n’abandonne jamais ; elle consiste en vagues déclamations contre les révolutionnaires et pour la légitimité. » [1]
Hyde de Neuville partage ces idées libérales et cet idéal de monarchie constitutionnelle avec Chateaubriand, dont il devient, à partir de 1820, un ami très proche. Il sera l’un des éditeurs des Mémoires d’Outre-Tombe. En 1828, Charles X accepte sa nomination comme ministre de la Marine. À ce poste, il lance l’expédition de Morée, pour soutenir l’indépendance de la Grèce.
Réélu député en juillet 1830, il démissionne de la Chambre le 11 août, après la chute du Trône. L’ardent légitimiste se réfugie sur ses terres de la Nièvre, refusant de prêter serment à un régime qu’il ne peut accepter. Arrêté en même temps que Chateaubriand en 1832 pour complot contre le régime (les deux hommes avaient formé, avec quelques vieux royalistes, un comité carliste à Paris), il désapprouve en fait l’équipée de la duchesse de Berry en Vendée. Loin désormais des conspirations de tout genre, il trouve sa consolation en regardant grandir le jeune duc de Bordeaux, qui eût pu devenir roi sous le nom d’Henri V. Mais c’est la République qu’il voit revenir en 1848, puis de nouveau l’Empire : il s’éteint le 28 mai 1857, portant son dernier regard sur le portrait de Louis XVI accroché au mur en face de son lit.
Note
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Biographie des députés, session de 1828, précédée d'une introduction et d'une notice sur le nouveau ministère / Lardier. Paris : chez les marchands de nouveautés, 1828 ; pp. 220-221