Le théâtre des guerres dans les provinces belges

Une carte pour Richelieu

Le Théâtre des guerres entre le Roy d'Espagne et les estats de Hollande, daté des années 1640 mais qui pourrait être antérieur, est une grande carte manuscrite dont les parties constitutives sont collées sur des feuilles réunies dans un atlas. Son auteur, Arnold Florent van Langren (1580-1644), est issu d’une famille d’anabaptistes qui aurait émigré vers le nord des Pays-Bas à la fin du XVIe siècle. Il est « sphérographe royal » des gouverneurs des Pays-Bas espagnols en 1609, puis devient « sphérographe » du roi d’Espagne Philippe IV en 1621, délaissant parfois ce titre pour celui de « cosmographe ». Dès son arrivée aux Pays-Bas, il offre un grand globe terrestre à la ville d’Anvers, puis un autre globe aux gouverneurs. C’est la recherche de nouveaux patronages et de nouvelles ressources qui le conduit sans doute à dédier son Théâtre à Richelieu, allié des Provinces-Unies, mais ennemi du roi d’Espagne.

Théâtre des guerres entre le Roy d'Espagne et les estats de Hollande par Arnold Florent van Langren (circa 1640). Reconstitution numérique d'une carte divisée en neuf parties. MAE, Bibliothèque, Rés. T 82

La carte veut représenter, avec le maximum d’exactitude, les provinces belges dont la rébellion est encouragée par les Provinces-Unies, alliées de la France depuis 1635. Les armées espagnoles et hollandaises s’y affrontent, les Français se battant sur un deuxième front situé plus au sud. Hesdin est pris le 29 juin 1639 avec la participation de Louis XIII, Arras le 10 août 1640, et en 1641 plusieurs places fortes du Nord sont conquises. Au cas où les provinces belges ne bougeraient pas, les alliés ont envisagé de les conquérir et de se les partager, ce qui pourrait expliquer l’intérêt de la carte pour Richelieu. La précision du document répond aux besoins des militaires : van Langren a représenté toutes les villes et tous les forts « selon leur juste grandeur, forme et figure », et le tracé des routes a été ajouté une fois le document rédigé. La carte a bien été dressée à l’intention d’utilisateurs français, comme en témoignent les termes adoptés : « riviere », « païs », « château », « fort », « conté », « marescage », etc.

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  • Cartouche portant une dédicace à Richelieu

    Cartouche portant une dédicace au cardinal de Richelieu

    Millésime approximatif ("de 1641 à 1648") inscrit de la main de Barbié du Bocage

     

Naissance de la géographie militaire

Ce document vient s’insérer dans une production française qui est alors dominée par les ingénieurs militaires. Le pouvoir royal veut disposer d’une représentation complète du royaume et des pays voisins : des atlas manuscrits sont constitués, outils stratégiques indispensables à une monarchie dont la puissance dépend de la position de ses places fortes. Dès 1634, Christophe Tassin publie un atlas imprimé qu’il intitule Les Cartes générales de toutes les provinces de France ; il y présente en priorité les provinces périphériques et finit son ouvrage en donnant les cartes des pays voisins. Il participe ainsi, à sa manière, à la consolidation des frontières, commencée avec le traité de Lyon de 1601 et continuée par celui de Munster de 1648. Le beau cartouche de la carte de van Langren fait d’ailleurs penser au style de Tassin.


Les « Théâtres des guerres », cartes ou atlas qui permettent de suivre les opérations militaires, en sont alors à leurs débuts. Ils vont se développer dans deux directions : ce seront soit des documents purement topographiques, nécessaires à la marche des armées, soit des documents historiques qui s’efforceront de figurer les opérations dans leur cadre topographique.

De Paris à New-York, en passant par Berlin et Poznan


Après la défaite en 1940, les troupes d'occupation allemandes font main basse sur la collection cartographique des Archives diplomatiques. Heinrich von zur Mülhen est alors chargé par le ministre von Ribbentrop de doter le ministère allemand des Affaires étrangères d'un service géographique. Au lendemain de la guerre, l'Office des Biens et Intérêts privés est informé que les anciennes collections géographiques du Quai d'Orsay ont été entreposées dans un château à l'est de l'Oder, sur le territoire polonais.


En avril 1973, la salle de vente Sotheby Parke Bernet prend contact avec le consulat général de France à New-York pour l'avertir qu'un libraire souhaite y mettre aux enchères un atlas portant l'estampille du dépôt géographique du ministère des Affaires étrangères. La vente est immédiatement différée et un contact est établi avec le vendeur. Il apparaît qu'il est également en possession d'un atlas contenant quatorze cartes du Danemark (1763-1768) et d'un autre avec neuf cartes de la Russie (1799-1802). Ces trois ouvrages auraient été achetés en Pologne.


Après avoir fait valoir leurs droits de pleine propriété, les Archives diplomatiques engagent avec le vendeur une longue négociation, juridique et financière, qui s'achève le 7 octobre 1977 avec le retour des trois atlas à Paris.

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