Madame de Genlis : ses papiers aux Archives diplomatiques, ses livres à Valençay et à Madrid

Une femme de lettres aux mille et un talents


L’œuvre de Mme de Genlis comprend des romans et des contes, des mémoires, des pièces de théâtre, de la poésie, des essais, des manuels et des pamphlets. Cette production variée et prolifique, qui compte plus d’une centaine de titres, fait d’elle l’une des plus importantes femmes de lettres de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Construite sur près de cinquante ans, marquée par un souci constant de pédagogie et par une grande maîtrise des pratiques éditoriales du temps, l’œuvre étonne par son ampleur et sa diversité.


Stéphanie Félicité du Crest, comtesse de Genlis, marquise de Sillery (1746-1830), est une des plus remarquables pédagogues de l’Ancien Régime. Chargée de l’éducation des enfants de la maison d’Orléans (le futur Louis-Philippe et ses sœurs), ses théories témoignent de ses contradictions et oscillations entre les idées philosophiques les plus avancées et une manière conservatrice et traditionnelle d’envisager l’éducation.


Sous la Révolution française, elle s’exile en Angleterre puis à Berlin avant que Bonaparte l’autorise à rentrer en France. Il l’admire, la pensionne et lui accorde un appartement de fonction à l’Arsenal où elle tient salon. Au retour des Bourbons, elle ne vit plus que que des droits d’auteur qu’elle tire de ses romans et nouvelles. En 1830, elle a la satisfaction de voir son ancien élève devenir roi des Français.

Ses archives, d'Italie en France


Les Archives diplomatiques conservent un ensemble de manuscrits de Mme de Genlis, en grande partie autographes. Ils représentent un ensemble constitué de documents préparatoires pour des œuvres imprimées, de projets sans suite ou de textes à destination privée.


Ce fonds se trouvait autrefois à l’Institut français de Florence. Sa bibliothèque, créée au début du XXe siècle, a reçu à une date indéterminée les papiers Genlis. En 2003, ils ont été rapatriés aux Archives diplomatiques et intégrés à la collection des Papiers d’agents et Archives privées.


Le centre des Archives diplomatiques à La Courneuve met à la disposition des chercheurs six cartons au contenu très varié donnant des informations précieuses pour contextualiser l’œuvre de Mme de Genlis [1]. Dans le premier, on trouve notamment une liasse de notes à l’Empereur (1804-1809). Le second regroupe des textes publiés dans Le Journal imaginaire (réflexions sur la manière d’amuser les enfants en les instruisant, éducation des demoiselles, essai sur le goût de l’indépendance dans la jeunesse, etc). Dans le quatrième, on peut découvrir une Nouvelle méthode pour apprendre à enseigner aux enfants à dessiner et à peindre, un Projet d’une école rurale pour l’éducation des filles, un texte sur Les instituteurs célèbres par leurs élèves ou leurs talents, une Nouvelle méthode d’enseignement pour la première enfance, etc. Enfin, le sixième carton propose un Dictionnaire critique et raisonné des étiquettes de la Cour ou le manuscrit incomplet de son ouvrage De l‘influence des femmes sur la littérature française, comme protectrices des lettres et comme auteurs.


Cette documentation, composée d'articles et de notes critiques à l'égard d'une société que Mme de Genlis juge alors éloignée de ses principes, rassemble les réflexions d'une femme qui, après avoir rencontré le succès, doit sous la Restauration faire face à une forte opposition à ses principes pédagogiques.


Ses notes de travail sur la rédaction de La feuille des gens du monde, ou le Journal imaginaire qu'elle édite en 1813 ont pour principal intérêt de montrer sa précision dans le processus d’élaboration de sa pensée. Son écriture est rapide, faite de soulignements, d'ajouts et de corrections.

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  • Madame de Genlis (portrait)

    Madame de Genlis

    par Adélaïde Labille-Guiard (huile sur toile, 1790)

    Musée d'Art du comté de Los Angeles

Ses livres pour les infants d'Espagne


Au début du XIXe siècle, quelle place réserve-t-on à l’œuvre de Mme de Genlis lors de la formation d’une bibliothèque privée princière ? Prenons le cas de celle constituée à l’usage des infants d’Espagne pendant leur séjour contraint au château de Valençay entre 1808-1814.


La valeur éducative des textes de Mme de Genlis et la renommée de l’autrice, reconnues par l’entourage français de la suite des Bourbons, doit encourager le bibliothécaire de l’infant Charles, François Vullier, à acquérir plusieurs titres. Pour autant, ont-ils retenu l’attention des princes ? L’examen des trois catalogues manuscrits de la bibliothèque des princes Ferdinand, Charles et Antoine permet d’identifier quarante ouvrages de Mme Genlis. La consultation du catalogue informatisé de la bibliothèque royale à Madrid fait apparaître neuf exemplaires supplémentaires. Trois titres sont édités à Madrid, en espagnol, entre 1788 et 1804. Trente-trois titres sont édités en France, entre 1801 et 1813. Six titres supplémentaires sont édités en français entre 1781 et 1802. Après leur retour en Espagne, seuls sept livres de Mme de Genlis viendront encore enrichir les collections royales entre 1818 et 1893. Même si l’œuvre de Mme Genlis est appréciée et abondamment diffusée et traduite, elle n’a pas semblé avoir retenu l’attention des princes puisque l’acquisition de ses ouvrages a été limitée dans le temps et a sans doute tenu aux circonstances de leur exil.

À Valençay, les princes ne semblent pas avoir eu de goût pour la lecture. En fait, ils s’ennuient et trouvent le château triste et incommode. Dans ses Mémoires, Talleyrand raconte son échec lorsqu’il leur propose des activités intellectuelles au début de leur installation : « J’avais cherché à leur faire passer quelques heures dans la bibliothèque. Là, je n’eus pas de grand succès, quoique le bibliothécaire, M. Fercoc, et moi, essayassions de tous les moyens que nous pouvions imaginer pour les y retenir. Ayant échoué par l’intérêt seul des livres, nous employâmes la beauté des éditions, puis les ouvrages qui renfermaient des gravures ; nous descendîmes même jusqu’aux images ; je n’ose dire à quel point tout fut inutile. Don Antonio, leur oncle, qui redoutait pour eux la grande partie des livres qui composent une bonne bibliothèque, imaginait bientôt quelque raison pour les engager à rentrer chez eux. »


Messes et prières occupent une part prépondérante dans leur journée. Parfois, leur dévotion s’exprime de manière singulière. Le 14 juillet 1812, ils viennent ainsi à brûler dans la chambre de Ferdinand les œuvres jugées impies de Voltaire et de Rousseau qu’on avait eu l’imprudence de leur montrer, alors que ces auteurs étaient interdits en Espagne avant l’invasion française.


Le 13 mars 1814, l’exil des princes espagnols prend fin. Ils quittent Valençay et retournent en Espagne. Ferdinand VII donnera le nom de Valençay à un régiment royal et une frégate. Reconnaissant, il décorera Talleyrand de la Toison d’or et lui donnera son portrait. Les livres de Mme de Genlis achetés et reliés en France sont transportés à Madrid où ils prennent place dans la bibliothèque royale, à défaut d’être lus par leurs illustres propriétaires.

Note

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    Manuscrits de Mme de Genlis, anciennement à l’Institut français de Florence. In : Madame de Genlis, littérature et éducation. Rouen : Universités de Rouen et du Havre, 2009 ; pp. 293-299

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