Traces d'histoire : la Bibliothèque en quête de son passé

1 563 : tel est le nombre de marques de provenance jusqu'à présent relevées, décrites et numérisées sur les ouvrages de la bibliothèque du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Marques de provenance ?

Une marque de provenance permet d’identifier le possesseur, le donateur, le destinataire, le dédicataire ou le commanditaire d’un livre, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale (établissement religieux ou d’enseignement, institution, etc.). Elle peut être dorée, estampée à froid, peinte, dessinée, encrée, manuscrite, gravée, ou encore imprimée. Le plus souvent, elle prend la forme d’armoiries dorées sur le cuir d’une reliure, d’un ex-libris (ou vignette) gravé et collé sur son contreplat supérieur, d’un cachet (sec ou humide) apposé sur une page de titre, d’une inscription manuscrite affirmant la propriété portée ici ou là dans le livre. La provenance peut également être déduite lorsqu’il faut se contenter pour seuls indices d’un code numérique ou alphanumérique (cote, numéro d’inventaire, prix, etc.), d’une annotation réputée de la main du détenteur, d’une reliure ou d’une décoration caractéristique d’un atelier, de sources archivistiques. En débusquant toutes ces marques, en cherchant à les identifier, on découvre les pérégrinations des volumes avant qu’ils soient parvenus jusqu’à nos rayonnages. Leur étude attentive contribue à documenter l’histoire des collections imprimées et des pratiques professionnelles.

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  • Reliure aux armes et au monogramme de Michel Particelli d'Émery (plat supérieur)

    Reliure aux armes et au monogramme de Michel Particelli d'Émery

Relever et identifier

De 2003 à 2009, la Bibliothèque prépare le déménagement de ses collections au centre des Archives diplomatiques de La Courneuve et effectue le récolement de son fonds ancien. Chaque livre fait l’objet d’un examen minutieux, chaque marque est analysée et numérisée. En 2012, une base de données illustrée est élaborée pour rassembler et organiser toutes les informations recueillies.

Faute de catalogue, de registre ou d'inventaire

Du fonds ancien, on sait par un rapport du directeur du dépôt des Archives, Claude-Gérard Sémonin, daté du 1er février 1792 et adressé à son ministre, Claude Antoine Valdec de Lessart, que les imprimés représentent 972 volumes. Aucun inventaire ne permet de les identifier, le premier catalogue méthodique connu étant dressé dans les années 1820. Deux ex-libris gravés relient toutefois certains livres à la bibliothèque primitive : celui du dépôt des Affaires étrangères (le plus souvent gratté) et celui de Chrétien Frédéric Pfeffel, jurisconsulte du roi attaché au département des Affaires étrangères dont le secrétaire d'État, le duc de Choiseul-Stainville, a acquis la bibliothèque en octobre 1768 en lui en laissant la jouissance (Pfeffel la remettra au Ministère en 1792 et l’achat sera complété en 1807 par Talleyrand). On dénombre respectivement 399 et 604 de ces ex-libris.


Pendant la période révolutionnaire, la collection des imprimés s’accroît de manière considérable. Entre 1796 et 1798, le ministre de l’Intérieur autorise les conservateurs des dépôts littéraires à remettre au ministre des Relations extérieures 3 449 titres, d’après des listes conservées à la bibliothèque de l’Arsenal dans le manuscrit 6505. C’est à cette époque que des ouvrages provenant de bibliothèques nobiliaires ou conventuelles prestigieuses – duc de Penthièvre, famille Vergennes, abbaye Saint-Victor de Paris – entrent dans les collections du Ministère. À ce jour, les deux tiers des titres figurant sur ces listes ont été recherchés, et souvent retrouvés, dans les collections de la Bibliothèque.

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  • Ex-libris gravé du dépôt des Affaires étrangères

    Ex-libris gravé du dépôt des Affaires étrangères

Une étiquette, collée sur le dos de plusieurs centaines de livres, retient également l’attention par son format et son écriture très caractéristiques. Un numéro d’ordre, n’excédant pas 910, y est inscrit et renseigne sur le classement des volumes, dont la plupart portent soit l’ex-libris du dépôt des Affaires étrangères, soit celui de Chrétien Frédéric Pfeffel. Comme aucun de ces livres n'atteste d'une provenance liée à une confiscation révolutionnaire, il est fort probable que ce numéro ait été attribué entre 1792 et 1796. Cela en fait donc le premier élément de nature bibliothéconomique connu à la Bibliothèque.


L’étude des marques, complétée par celle des archives, a ainsi permis de dresser de manière rétrospective deux états du catalogue de la Bibliothèque au début et à la fin des années 1790.

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  • Ex-libris gravé d'Aimé Leroy

    Ex-libris gravé d'Aimé Leroy

Organiser et rendre homogène le signalement

Si la nature des acquisitions (achat, don, etc.) est relevée scrupuleusement depuis l’ouverture d’un registre des entrées le 1er janvier 1870, l’examen des marques continue de renseigner utilement sur toutes les provenances antérieures à l’entrée d’un livre à la Bibliothèque.


Depuis 2013, la Bibliothèque coopère aux travaux d’un groupe de réflexion national sur le signalement des provenances dans les collections de bibliothèques territoriales, universitaires ou spécialisées. Composé de bibliothécaires et d'historiens du livre, il met en ligne en 2015 plusieurs documents méthodologiques sur le site de l’association BiblioPat. Le projet intitulé Fédération des données de provenance des collections des bibliothèques françaises retient l’attention de l’équipement d’excellence Biblissima et obtient une subvention pour collaborer avec l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) au développement de sa base Bibale, afin que les données relatives aux provenances y soient intégrées. L’objectif est que les milliers d’informations jusqu’alors dispersées dans les outils de gestion de différents formats (EAD, Unimarc, tableurs, bases de données « propriétaires », etc.) deviennent aisément accessibles à tous et s’enrichissent entre elles. Les marques ainsi recensées participent à une meilleure connaissance de l’histoire de la lecture, de la circulation du livre, et œuvrent à la reconstitution de bibliothèques dispersées.